Physique

La Grande Tache rouge de Jupiter… en laboratoire !

De récentes expériences et simulations numériques indiquent que l’immense tempête qui persiste sur la planète géante depuis plusieurs siècles serait un « tourbillon flottant ». Un type de formation que l’on a aussi découvert dans les profondeurs des océans terrestres.

Benjamin Favier, Michael Le Bars et Daphné Lemasquerier POUR LA SCIENCE N° 519
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Grande Tache rouge Jupiter Hubble

Avec des vents qui soufflent parfois à plus de 300 kilomètres par heure et une durée de vie moyenne d’une dizaine de jours, les cyclones sont parmi les phénomènes les plus spectaculaires dans l’atmosphère terrestre. Mais bien qu’impressionnants, ils sont sans commune mesure avec les tourbillons observés sur Jupiter. Le plus célèbre d’entre eux, la Grande Tache rouge, se déchaîne depuis au moins trois cents ans.

Grâce aux progrès des techniques d’observation de l’époque, Robert Hooke, en 1665, et Jean-Dominique Cassini, l’année suivante, ont été les premiers à mentionner la présence d’un énorme vortex dans l’hémisphère Sud de la planète géante. À partir du xxe siècle, ces observations se sont multipliées avec les instruments au sol, le télescope Hubble en orbite autour de la Terre et les sondes spatiales (Pioneer 10 et 11 en 1973 et 1974, Voyager 1 et 2 en 1979, Galileo de 1995 à 2003 et Juno depuis 2016). Ces données ont révélé les caractéristiques spectaculaires de la Grande Tache rouge : sa forme elliptique (15 000 kilomètres de longueur pour 12 000 kilomètres de largeur en 2015) peut contenir au moins une fois la Terre ! Et les vents y soufflent à près de 680 kilomètres par heure.

Pourtant, à ce jour, aucun modèle n’explique de façon satisfaisante comment une telle tempête géante peut se former et persister aussi longtemps au sein d’un environnement très turbulent.

L’atmosphère jovienne, composée principalement d’hydrogène et d’hélium, présente plusieurs couches nuageuses constituées d’ammoniac (NH3), de sulfure d’hydrogène (H2S) et d’hydrosulfure d’ammonium (NH4SH). Des molécules chromophores, vraisemblablement liées aux éléments soufre et phosphore, et des cristaux de glace colorent ces nuages selon diverses teintes qui dépendent des conditions locales telles que la température.

Dans la Grande Tache rouge, les vents soufflent à près de 680 kilomètres par heure

Ces tons contrastés soulignent admirablement la dynamique de la planète. Celle-ci est ainsi striée par une dizaine de bandes stables et parallèles à l’équateur, associées à des vents intenses de 300 kilomètres par heure qui cisaillent l’atmosphère d’est en ouest, ou l’inverse. Des centaines de « vortex » ou « tourbillons » circulent au sein de ces bandes et y fusionnent parfois. Ces vortex sont des cyclones lorsqu’ils tournent dans le même sens que la planète (sens antihoraire dans l’hémisphère Nord, horaire dans l’hémisphère Sud), et inversement pour les anticyclones. Près de 90 % de ces vortex sont des anticyclones, de forme ovale assez régulière. Les cyclones, moins nombreux, ont en général des contours erratiques, allongés et filamentaires.

Dans un environnement aussi extrême et chaotique, il est difficile de comprendre la persistance de la Grande Tache rouge, dont les observations ont surtout été limitées à la seule couche de nuages de l’atmosphère. Or sa structure en profondeur peut certainement nous en dire plus sur sa longévité. Une piste intéressante est de supposer que ce tourbillon n’est pas profondément ancré dans l’intérieur de la planète, mais qu’il s’agit plutôt d’une structure superficielle, « flottant » dans l’atmosphère.

Sonder Jupiter en profondeur

Actuellement en orbite autour de Jupiter, la sonde Juno devrait nous fournir des informations cruciales pour résoudre cette énigme. Ses instruments explorent de façon indirecte l’intérieur jovien jusqu’à quelques centaines voire quelques milliers de kilomètres sous les nuages. Cet exploit est toutefois modeste lorsqu’on le rapporte au rayon équatorial, qui est de l’ordre de 70 000 kilomètres ! Ces données aideront à ausculter la partie cachée du vortex et à mettre à l’épreuve l’idée que la Grande Tache rouge est un tourbillon flottant. Cependant, l’interprétation de ces nouvelles mesures est délicate et repose sur des modélisations qui impliquent des hypothèses encore débattues.

Pour renforcer la piste du tourbillon flottant, notre équipe a exploré des approches complémentaires à l’exploitation des mesures in situ de Juno. Nous avons conçu un dispositif expérimental et réalisé des simulations numériques dans des configurations simplifiées qui restituent à l’échelle du laboratoire certaines des conditions dominantes de la planète géante. Les résultats sont encourageants : nous montrons que les tourbillons flottants sont très stables et nous reproduisons certaines caractéristiques de la Grande Tache rouge, comme sa forme elliptique.

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